COUTUMES TUNISIENNES
KEYMANE SEFFARIM.
A l'issue de Simhat Tora, en Tunisie, tous les sifré Tora étaient déposés à côté du tabernacle sur des bancs spéciaux et leur rentrée dans le tabernacle ne se faisait qu'après Roch Hodech Hechvan au cours d'une cérémonie appelée Keymane Séfarim. Rabbi Masliah Mazouz, dans son livre (Ich Masliah tome I Yoré Dé'a page 40 A), s'est interrogé sur la validité de cette coutume. Vu son ancienneté qui remonte aux grands Gaonim de Tunis, il en a conclu qu'elle ne pouvait être que licite.
HANOUCCA.
Les juifs de Tunisie allument habituellement le chandelier de Hanoucca, un par maison, avec des mèches trempées dans de l'huile et non pas avec des bougies. Dans la plupart des foyers, le chandelier était en fer blanc. Après la bénédiction, on lisait le hanérot alalou et le cantique de l'inauguration du Temple. Lorsque la lecture en était terminée, on prenait la chandelle qui avait servi à allumer la mèche et on l'écrasait contre le dos du chandelier pour l'éteindre.
ROCH HODECH ELBNAT :
C'est le premier Tévèt, pendant la fête de de Hanoucca que les juifs de Tunisie célèbrent le Roch Hodech elbnat, la néoménie des jeunes filles.
HISTORIQUE: On commémore l'histoire de Judith ce jour. La ville de Béthulie alors assiégée par l'armée d'Holoferne, général de Nabuchodonosor, allait succomber lorsque Judith, jeune veuve, décide, sur l'inspiration divine, de sauver son peuple. Elle se rend au camp de l'ennemi, captive par sa beauté l'attention d'Holoferne et accepte de s'asseoir à sa table. Une fois Holoferne accablé par l'ivresse, Judith lui tranche la tête et rentre à Béthulie dans la nuit. Le lendemain, les juifs suspendent la tête d'Holoferne à un mur. Ses hommes, pris de panique, lèvent le siège après avoir subi une terrible défaite. Holoferne avait édicté des restrictions dont les jeunes filles avaient pâti et le sort a décidé que c'est le courage d'une femme qui a permis de leur rendre leur liberté.
TRADITIONS: Les juifs de Tunisie célèbrent avec allégresse cet événement dont on ne trouve cependant pas trace dans la Bible. Des gâteaux de toutes sortes sont préparés à cette occasion : yoyos, makroudes, manicotis ou deblas, briks au miel, farka aux dattes spécialement préparées pour cette circonstance. Sous l'influence européenne, des gâteaux européens étaient préparés et une pièce montée pour les fiancés. Les jeunes gens ont coutume de gâter leur fiancée avec des friandises et des bijoux. Cette fête était toute faite de joie et de gaieté. La femme y retrouve ainsi la place qui lui revient.
SEOUDAT ITRO
Une fois par an, les juifs d'origine tunisienne célèbrent, le jeudi soir précédant la lecture de la parachat ltro, la Séoudat ltro, le festin de Itro. Il existe une allusion à cette cérémonie familliale dans la paracha quand Aaron et les anciens d'Israel viennent partager le repas de Itro (Exode 18.12).
Origines :
La tradition de cette fête est ancienne et profondément ancrée dans la communauté juive de Tunisie. Une des légendes raconte qu'une épidémie de diphtérie sévissait au 19ème siècle et causait de nombreuses victimes surtout chez les petits garçons. Cette maladie cessa brusquement ses ravages la semaine de la paracha Itro. Depuis, afin de commémorer ce miracle, on institua un grand festin le jeudi soir précédant la lecture de la parachat Itro. Certains pensent que ce repas a été institué en l'honneur des jeunes garçons qui ont pour la première fois l'occasion de lire les dix commandements.
Déroulement:
Le jeudi, dans la téfila de Chahrit et de Minha, on ne récite pas Tahanoun. Ce repas est un festin en miniature qui est servi dans des ustensiles de taille réduite que chaque famille possède et n'utilise qu'à cette occasion.Dans tous les repas familliaux tunisiens (le michté de Pourim, le repas de fin de jeune de Kippour...), on prépare un macoud (omellette frite d'oeufs et de poulet) et une poule farcie. A Séoudat Itro le poulet est lui aussi miniature et on cuisine donc des pigeons,un par garçon de la famille. Le soir, on dresse une table décorée et illuminée de petites bougies.
On commence par une étude de la Tora et du Zohar puis Bar Yokhay. Ensuite, on sert les mets dans des couverts miniature en verre ou en argile. Au dessert, on sert des douceurs et des petits gâteaux (yoyo, makroudes, manicotti, fruits et légumes en pâte d'amandes...). Les rabbins de Tunis ont tenté de lutter contre cet achat massif de pigeons qui était source d'une inflatoin temporaire, conseillant d'utiliser des coquelets.
Dans la hara de Tunis dans les années 1950, on éditait une "Ouarkate Itro" dans laquelle étaient écrites toutes les bénédictions que les enfants qui allaient au Ketèb ( Talmud Tora ) devaient avoir appris. Pendant ce repas, ils devaient les réciter, chacun selon son niveau d'étude. Cette feuille a été rééditée en Israel par le Makhon Aberman de Lod, avec l'aide du Gaon Rabbi Méir Mazouz. Elle est disponible à Paris auprès de l'association Kissé Rahamim.
La communauté de Djerba fête également Séoudat Yitro,(Brit Kéhouna O. H. lettre samekh n°17 ).
ROCH HODECH NISSAN:
Comme le premier Nissan est un Roch Achana spécial, celui des Rois d'Israel, pour le décompte de leur règne (Michna Roch Achana 1.1), il est célébré à Tunis et à Djerba de manière solennelle .
A Tunis, la coutume veut que l'épouse allume la veilleuse d'huile à mèche de coton comme chaque veille de Roch Hodech. Puis chaque membre de la famille, par ordre d'âge , glisse un bijou en or ou en argent, en faisant un voeu , pour que l'année soit prospère. Les femmes glissent leur alliance et tous font bien attention de ne pas éteindre la veilleuse,lors de cette cérémonie. Puis on se régale avec une bkaëlla et du nougat en déssert pour que l'année soit douce.
La communauté de Djerba remplit la tradition de la Bshisha dont voici quelques détails : La bshisha est un mélange, moulu très fin, de blé et d'orge additionné d'épices coriandre et fenouil (anis). Certaines communautés ont coutume d'ajouter des dattes, des amandes, des noix, des raisins secs, etc... Comment procéder.? On place la bshisha dans une coupe ou une assiette creuse. Tous les membres de la famille tendent l'index vers le centre de l'assiette. Le chef de famille tient dans une main une clé (mâle, non creuse) et dans l'autre main une bouteille d'huile, fait couler l'huile sur les doigts tendus et sur la clé puis tous mélangent la bshisha et l'huile en prononçant la phrase suivante : " Khalat el Abshisha bel neftah ya fetah hon alina ya moulana ya razak ", que l'on peut ainsi traduire ; mélangeons la bshisha avec la clé, pour toi l'Eternel qu ouvre les portes du Bien. Offre-nous Ta grâce, Toi Notre Créateur miséricordieux ". Après avoir mélangé, on goûte l'amalgame.
LA BILADA.
Dès la naissance d'un garçon ou le plus tôt possible, on accroche sur la porte de la chambre de l'accouchée une feuille de protection du nouveau-né et de l'accouchée. L'origine de cette feuille remonte au Baal Chem Tov. Elle a été complétée par une incantation écrite par le Hida, par les bénédictions de la Mila et par quelques symboles connus en Tunisie. La première feuille , Ouarkat El Nafcha, semble avoir été publiée par Rabbi Eliaou Hay Guez, l'auteur du Zé Achoulhan.
Pour une mila , on n'a pas l'habitude d'inviter les participants car une éventuelle défection serait grave pour son auteur; aussi informe-t-on seulement les membres de la communauté.
On a l'habitude de préparer avant la billada, la MARTBA, dans la pièce où va avoir lieu la mila: sur un siège recouvert de beaux foulards, on dépose des livres sacrés,un Tanakh, des livres de Zohar, qu'on laissera 3 jours comme la chaise de la Mila,(Zé Achoulhan page 272 ).
La veille de la circoncision, donc le septième soir, est appelée bilada par les juifs de Tunisie. Ce nom est une transformation du mot espagnol vélada, veillée. Cette nuit est consacrée à l'étude de la Tora et du Zohar, et l'occasion d'une petite fête, qui se déroule toujours à cette date même si la mila est repoussée. Le Toldot Hakhmé Tounis " (page 70) précise les parties du Talmud étudiées à cette occasion.
L'origine de cette coutume remonte à une aventure survenue à Rabbi Sémah Sarfati, le premier des grands rabbins de Tunis au 17ème siècle.C'est le Grand Rabbin Azoulay, le Hida qui le le dit dans son livre "Chèm Aguédolim ", (par. Zéra Ish'ak). Rabbi Sémah Sarfati, bénie soit la mémoire du Juste, était alité depuis deux ans pour cause de maladie au moment où lui est apparu le prophète Elie qui lui promit que s'il s'engageait à étudier la Tora dans une maison où allait se dérouler une mila, il serait guéri sur le champ! Rabbi Semah donna sa parole au prophète et fut effectivement guéri. Désormais, le célèbre rabbin se rendait systématiquement la veille d'une mila dans la maison de chaque nouveau-né mâle et y étudiait la Loi. Depuis lors, les juifs de Tunisie ont grand soin de respecter la tradition de la bilada tant en Israël qu'en diaspora. Au cours de cette cérémonie, la famille reçoit de nombreux invités qui chantent le traditionnel Bar Yohaï.
LA THALET LILA
La troisième nuit après la circoncision avait lieu une petite fête appelée "thalèt lila". Ce repas était accompagné de chants et animé par un orchestre. Il est déjà question de cette fête dans le livre " Michkénot haro'ïm " de Rabbi Ouziel Elhaïk (lettre Hé n° 103 et lettre Mème n° 117). Aucune invitation n'était faite à cette occasion : la porte était ouverte à tous. Les gens venaient nombreux pour écouter l'orchestre qui jouait des airs merveilleux et offrir des dons aux musiciens. Cette cérémonie clôturait de fait les festivités liées à la naissance d'un garçon. Le lendemain, on pouvait rendre à la synagogue la chaise du prophète Elie que l'on n'avait pas déplacée depuis la Mila ( Michkénot Aroïm lettre Mème n° 117). (Cependant, si une autre mila devait avoir lieu, on pouvait prendre la chaise de la mila , si on n'en avait pas d'autre, immédiatement après la première mila).
LA HANNA
8 jours avant le mariage a lieu chez les juifs de Tunisie, la HANNA, une fête familliale qui a souvent plus de retentissement que le mariage lui-même et qui permet de rassembler les deux familles. Au milieu de cette soirée , la mère du fiancé ou quelqu'un de sa famille prépare du Hénné et le place dans la main droite de la fiancée à l'aide d'une pièce d'argent ou d'or. Le Michkénot Aroïm (lettre Hé n° 103) dit que c'est là le début des festivités du mariage. Par cet acte, la fiancée entre dans sa future famille. Plusieurs rabbins de Tunis ont trouvé dans le mot HANNA un acronyme aux 3 commandements fondamentaux de l'épouse:HALLA, NIDA, ADLAKAT ANER( CHABBAT ).
LE MARIAGE ET LES CHIVA BRAKHOT
Pendant la semaine qui précède le mariage, la fiancée prépare une poule farcie et la fait envoyer à la maison du fiancé qui en garde la moitié et rend la deuxième moitié de la poule à sa promise. Le samedi qui précède le mariage, les amies de la fiancée viennent chez celle-ci,pour consommer un peu de cette poule. " Qui en mangera l'aile se mariera dans l'année " avait-on coutume de dire.
Pendant les sept jours qui suivent le mariage, chaque repas des mariés est conclu par les chiva brakhot, s'il y a deux nouveaux invités et au moins 10 participants adultes. Un seul rabbin prononce les sept bénédictions (Brit Kéhouna page 601 n° 12) et commence par celle du vin (Baroukh Achoulhan tome 2 page 134), avec un seul verre (Zé Achoulhan page 260, au nom du Choulhan Aroukh Even Aézér 62.9). L'assemblée a l'habitude de chanter en choeur une partie des 7 bénédictions "Elokénou Mélèkh Aolam ", tradition ancienne puisque citée par le Michkénot Aroïm (lettre kouf n° 22) mais contestée par plusieurs rabbins.
Le chabbat pendant les sept premiers jours du mariage est appelé Chabbat Hatan. Le nouveau marié se rend à la synagogue, où l'on sort un Sépher Tora spécial pour lui. Il y monte aprés Chlichi
( Brit Kéhouna O. H. lettre hète n°1 et E.A. lettre hète n°4 )
ou aprés Chichi d'aprés certains rabbins de Tunis. On lui lit le passage VEAVRAHAM ZAKENE ( Béréchit 24.1 à 7) sur l'air solennel du passage de la mer rouge et des dix commandements.
LE KOSSANE EL HOUTA, Coupe du poisson.
C'est la cérémonie qui clôture les fêtes du mariage. Après une semaine de réjouissances et de festivités, parents et amis étaient invités, chez les jeunes mariés, à une cérémonie appelée dans la population juive de Tunisie "kossane el houta", la cérémonie de coupe du poisson. Le but de cette pratique était de remettre en question la domination du jeune marié sur sa jeune épouse et de promouvoir le statut de la jeune femme aux yeux de son mari. La cérémonie se déroulait comme suit: On amenait de la cuisine un plat sur lequel était posé un gros poisson, de préférence un mulet; on le plaçait au milieu de la pièce pour que tous puissent voir. Le marié et la mariée étaient placés en vis à vis et le plat était disposé au milieu, entre les deux. Le marié se tenait face à la tête du poisson; on remettait ensuite un couteau à chacun des mariés et c'était à celui qui couperait le poisson le plus vite pour assister la femme et l'aider à vaincre son mari; on introduisait un bâton dans la bouche du poisson ce qui gênait le mari d'autant que l'on dotait la mariée d'un couteau tranchant alors que l'époux recevait un couteau à la lame émoussée. Lorsque le signe du départ de ce concours était donné, on demandait aux deux époux de couper le poisson. Au signal convenu, tandis que le mari peinait à accomplir sa tâche, la femme coupait sans difficulté aucune la queue du poisson à la plus grande joie des présents.